Moi, j’aime écrire depuis toujours. Et c’est très rapidement que j’ai rêvé d’en faire mon métier. Au début, je pensais devenir journaliste, puisque j’avais des modèles comme Tintin, Spirou ou Ric Hochet. Qui passent quand même peu de temps à la rédaction. M’enfin, je me souviens qu’il y a longtemps déjà, il y a deux domaines qui me faisaient complètement délirer. Pour lesquels j’avais très envie de poser des textes pour me marrer. Les étiquettes de vin et les catalogues de vente par correspondance.

Mais jamais, même dans mes pires cauchemars, je n’aurais imaginé qu’il pourrait y avoir des copywriters pour couvercle de chiottes. Et pourtant.

Quelque part à Lausanne, dans les tréfonds d’un lieu tenu secret où je me réunis de temps à autres avec des potes pour des soirées de jeux de société, se trouvent des toilettes. Avec une cuvette de WC normale. Blanche. Rien de dingue, sauf que le couvercle arbore un magnifique sticker avec des instructions.

Oui, tu m’as bien lu: des instructions.

Pour un couvercle de chiottes.

Parce qu’il y a un truc. Ce couvercle, c’est pas n’importe quel couvercle de chiottes. C’est pas celui de ta grand-mère. C’est pas celui de Pablo Escobar (tout en or, quand même). Non, ce couvercle, tu peux le lâcher et il se ferme tout doucement, sans faire de bruit.

Dingue, non?

Et donc, y a des docteurs en WC qui se sont sentis obligés d’expliquer comment ça fonctionne. Et je peux te dire qu’ils étaient salement bien inspirés, les mecs!

Alors regarde attentivement la photo ci-dessous. Juste avant de t’évanouir d’émerveillement, tu vas découvrir ce fameux couvercle de chiottes muni de la technologie Soft Close ®.

Et donc, tu peux aussi lire comment. ça. marche (à dire tout haut avec la voix de Pierre Bellemare).

Pour refermer cet abattant, poussez le haut de celui-ci légèrement vers vous!

Non mais t’as bien lu ce tissu d’âneries? C’est écrit avec les pieds!

Pour refermer cet abattant…

Un abattant? Je savais même pas que ce mot existait! Et pourtant, je me flatte d’avoir une assez bonne connaissance de la langue française. Donc oui, j’ai appris quelque chose. M’enfin j’aimerais bien interroger les passants dans la rue: je suis sûr que 99% des gens parlent de couvercle, pas d’abattant.

… poussez le haut de celui-ci légèrement vers vous!

Bon alors déjà, quand on veut dire à quelqu’un de pousser quelque chose vers lui, il y a un verbe pour ça. C’est «tirer». Ça valait bien la peine de frimer avec abattant au début de la phrase si c’est pour ne même pas connaître un verbe aussi courant que tirer. M’enfin.

… poussez le haut…

Admettons. Pas sûr que grand-monde se risque à toucher le bas de l’abattant pour le fermer, vu que c’est là qu’il y a les charnières. Mais bon, admettons.

… le haut de celui-ci…

Non mais sérieux, c’est un juriste qui a pondu ce texte? Qu’est-ce que tu veux pousser d’autre pour fermer cet abattant? «Celui-ci» est inutilement précieux, le risque de confusion est quand même plutôt mince.

… légèrement…

Alors là, je dois avouer que j’ai pas grand-chose à redire. Dans des toilettes pour mecs, préciser à l’usager qu’il n’y a pas besoin d’exercer une force herculéenne pour conclure ce grand moment de production physiologique n’est peut-être pas tout à fait inutile.

… vers vous!

On a déjà parlé de pousser vers vous, c’est bon. Non, là je voudrais attirer votre attention sur la présence d’un point d’exclamation. Comme pour souligner l’aspect extraordinairement évolué de cette technologie. Genre: «Incroyable! Magique! Hallucinant!» Visiblement, les docteurs en WC ils y croient à fond, que leur invention va changer le monde.

Et comme ça a quand même pas l’air tout simple, les mecs ont aussi prévu un schéma explicatif d’une grande limpidité. Un index vient par le haut, fait bouger le couvercle (ou «abattant») vers l’avant et la magie s’opère: il va se fermer lentement, en minimum quatre secondes.

Là, le timing est précisé pour le cas où l’usager esouffre de TOCs et ne partira pas avant d’être sûr que le couvercle est bien rabattu. C’est sympa de le prévenir, comme ça il peut faire une partie de Candy Crush en attendant.

Alors je les vois venir, les haters et autres chercheurs de petite bête.

«Ouais, c’est facile de critiquer, Romain… mais bon, t’aurais écrit quoi, toi?»

A ceux-là, j’ai d’abord envie de répondre que si ça ne tenait qu’à moi, y aurait rien d’écrit. Pas d’instructions. Que pouic, nada. Je veux dire, prenez deux secondes de recul, les gars. C’est des toilettes. Depuis tout petit, on sait comment ça marche. C’est presque universel, sauf peut-être en Turquie.

On n’a pas besoin d’explications.

Mais je suis d’accord, c’est une réponse un peu facile. Une dérobade, même. Alors je me lance. Si vraiment il fallait écrire quelque chose, qu’est-ce que ce serait?

J’aimerais d’abord attirer votre attention sur les autres versions de ces fameuses instructions.

Allemand: “Zum Schlißen, bitte nur antippen!” Alors ok, il reste ce point d’exclamation qui trahit l’excitation émue de l’inventeur. Mais pour le reste, on est sur un message court et sobre, la version écrite de la légendaire efficacité germanique.

Anglais: “Please tap softly when closing!” Toujours ce point d’exclamation, mais un message simple avec des vrais mots, où on n’essaie pas d’en faire des tonnes pour rien.”

Italien: “Per chiudere, accompagnare con delicatezza!” Delicatezza. Même quand ils parlent de toilettes, les Italiens ne peuvent pas s’empêcher de faire étalage de cette sensualité débordante qui a fait leur réputation.

Alors pourquoi un message français aussi compliqué? Pourquoi ne pas se contenter de: «Tirez le couvercle légèrement vers vous et il se fermera tout seul.» Hein?

Mais non, c’est pas ce que moi j’aurais écrit. Parce que quand on s’habitue à utiliser ce genre de couvercle de chiottes, y a un seul truc à dire. Un seul danger.

«Ne lâchez jamais le couvercle d’un WC ordinaire.»

Sous peine de revenir dans la salle du resto avec 25 paires d’yeux braqués sur vous, partagés entre hilarité et agacement.

 

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