Trop de persuasion tue la persuasion. C’est la science qui le dit. C’est pour ça qu’une bonne communication ne devrait pas asséner des ordres, mais donner des arguments valables pour faire adopter le comportement souhaité. Tout le contraire de cette campagne de Watson.

«Non mais l’autre… Si je veux, d’abord!»

J’étais tranquille à me balader sur l’avenue, le cœur ouvert à l’inconnu, quand tout à coup paf! Je me retrouve avec une affiche pour Watson, le nouveau média gentiment offert aux Romands par nos cousins d’outre-Röstigraben.

Et cette affiche est assez autoritaire.

INFORMEZ-VOUS, AFFIRMEZ-VOUS, LISEZ WATSON.

Bon alors tu me connais: je suis pas vraiment un rebelle. Du genre de ceux qui fument dans le bus (les vrais sachont). Mais ça m’empêche pas de tenir assez raisonnablement à mon libre-arbitre.

Alors quand on me donne des ordres, je vais pas forcément m’exécuter. Esprit de contradiction? Sens critique?

Et si c’était juste une réaction normale pour un être humain?

Et pourquoi, d’abord?

Bon, je reviens à Watson. C’est quoi le problème avec cette affiche? Y a pas un seul argument. Pas d’argument valable en tout cas.

«Informez-vous»

Chez Watson, ils doivent avoir fait 2-3 études de marché, non? J’imagine qu’on lance pas un média en 2021 avant de prendre quelques renseignements.

Ça veut dire qu’ils doivent probablement avoir compris qu’en Suisse romande, on n’a pas attendu l’arrivée de Watson pour s’informer. Vous me suivez? Donc quand on me dit «Informez-vous», je réponds «tout va bien merci, j’ai ce qu’il me faut.»

Si je décode, ce que Watson essaie de me dire en fait, c’est: «Changez de source d’info». Mais pour quelle raison alors?

«Affirmez-vous»

D’abord, quand on m’ordonne de m’affirmer, ça fait un sacré paradoxe. Mais passons. On va dire que c’est pas grave. Donc, lire Watson devrait me permettre de m’affirmer.

Ça veut dire quoi? Que depuis près de 45 ans je m’affirme pas? Sympa, merci. Me dévaloriser, c’est pas une très bonne manière de me vendre un truc. Juste pour dire.

Et même. En copywriting, y a une règle: pour convaincre, il faut se mettre au niveau de son interlocuteur. Surtout pas essayer de l’impressionner ou de le dévaloriser. Avec leur sens unique de la concision, les Américains disent: «Relate, don’t impress.»

«Lisez Watson»

Et pourquoi, d’abord? Reprenons. Un, je m’informe déjà. Deux, je souffre pas particulièrement de problèmes d’affirmation. Alors pourquoi je devrais lire Watson? Parce qu’on me l’ordonne? Ben… non.

👆 Ça, c’est pas moi.

Parce que Watson, c’est des «News sans bla bla»? Mais ça veut dire quoi au juste? Que le Temps, la RTS, Heidi News ou 24 Heures c’est du bla bla? Et pareil pour le Monde ou le Guardian? Eh ben moi, je le trouve à mon goût, ce bla bla.

Que dit la science?

Le destin, qui est un grand farceur, a l’habitude de provoquer des collisions intéressantes. Quelques jours à peine après ma rencontre avec l’affiche de Watson, je tombe sur un post très intéressant sur Linkedin.

En gros, des chercheurs se sont intéressés à la façon dont la communication scientifique inspire ou non confiance. Mais j’ai l’impression que ça fonctionne dans tous les domaines.

La conclusion principale, c’est que plus l’émetteur d’une info fait d’efforts pour persuader, moins il inspire confiance. Ou comme le dit la sagesse populaire: «Trop de persuasion tue la persuasion.» Je vous ai choisi quelques extraits.

Audiences […] judge the credibility of information based on the quality of the underlying evidence, more than its clarity, the usual priority for a communications department.

the literature […] identifies expertise, honesty and good intentions as the key to trustworthiness.

Say what you know; what you don’t know; what you are doing to find out; what people can do in the meantime to be on the safe side; and that advice will change. – John Krebs, Chair of the UK Food Standards Agency in the 2000s

[Our study shows] how sensitive people are to the aims and interests of communicators.

Prebunking requires anticipating potential misunderstandings or disinformation attacks, and that means understanding the concerns of the audience.

Quand une personne fait tellement d’efforts pour te persuader de faire quelque chose, de voter pour quelqu’un ou d’acheter un truc, tu te méfies. Et t’as probablement bien raison. La seule chose qui pourrait te faire changer d’avis, c’est de savoir pourquoi tu devrais suivre ses recommandations. C’est le fameux «What’s in it for me?» des marketeux.

Mais si je reviens à l’affiche de Watson, y a rien de tout ça. Aucune raison, aucun argument, aucun avantage concret pour me convaincre d’ouvrir ce truc au moins une fois, pour voir.

C’est pour ça que je la trouve ratée.

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