Et pourtant j’essaie, c’est promis.

T’as pas idée des efforts que je déploie pour éviter que ce blog devienne une collection de pubs nulles humiliées publiquement. Mais j’y peux rien: dans la région, c’est quand même vachement plus fréquent de tomber sur une mauvaise affiche que sur une action marketing réussie. Ce matin, c’était au tour de Shell qui faisait la promotion de sa nouvelle application mobile. Avec une affiche. Oui, une affiche. Mais quelle affiche!

«App app… Hourra!»

Le Matin est mort, mais son esprit survit, comme disait mon ami Mathieu. C’est vrai: ce genre de jeux de mots est digne des meilleures manchettes de feu le quotidien orange.

Hourra?

Dites, les gens de chez Shell. Vous croyez vraiment que votre app était LE truc qu’on attendait avec assez d’impatience pour crier hourra? Que notre vie va être bouleversée par votre truc?

Pas sûr.

«L’appli Shell…»

Au risque de passer pour ce que les Anglo-saxons appellent affectueusement un grammar nazi, autrement dit un nazi de la grammaire, j’aimerais attirer votre attention sur le fait que c’est même pas une phrase. A peine une description.

Alors messieurs-dames les concepteurs·trices-rédacteurs·trices (va falloir qu’on reparle de cette écriture inclusive, aussi), merci de pas nous prendre pour des débiles non plus. Entre votre magnifique headline («App app hourra»), la photo et le coquillage en bas à droite de l’affiche, je crois que plus ou moins tout le monde a pigé de quoi il s’agit.

«… et ses offres attractives»

«Oui, mais bon: il y a des offres attractives»

Ah ouais. Ça serait dommage de pas les mentionner. Elles sont attractives, vous dites? Ben c’est la moindre des choses! Attractive, c’est quelque part entre nul et pas trop mal. Du coup, pas sûr que ça me motive à télécharger le truc.

Des offres extraordinaires ou irrésistibles auraient sans doute été plus motivantes. Mais bon, il faut quand même reconnaître une certaine honnêteté intellectuelle aux gens de chez Shell. Qui veulent visiblement éviter de créer de fausses attentes. Par contre, ça en dit long sur ce qu’ils pensent de leurs propres offres.

Et donc, «L’application Shell et ses offres attractives», c’est pas une phrase. Mais si on fait un léger effort pour se mettre à la place des gars de chez Shell, on comprend quand même que ça leur ferait vachement plaisir qu’on la télécharge, leur app. Et que l’histoire des offres pas mal mais pas non plus incroyables, c’est censé nous motiver.

J’imagine qu’on est tous d’accord pour dire que c’est raté, hein?

Les petits caractères en bas

Mais attention, y a une astérisque. Bon, impossible de voir ça si on passe en voiture. Mais si comme moi on prend le temps de s’arrêter, on peut lire en bas de l’affiche que «les offres ne sont valables que dans les stations participantes». Et aussi que les fameuses offres «peuvent diverger selon la station spécifique».

Traduction: on vous propose des offres pas extraordinaires mais c’est pas grave, parce que de toute façon ça va pas être facile d’en profiter.

«Plus d’informations sur shell.ch»

Sur… shell.ch? Sérieux? Vous êtes en train de me dire que vous voudriez bien que je télécharge votre application pour pouvoir profiter d’offres ni nulles ni géniales. Mais que comme c’est compliqué d’en bénéficier, il va falloir que je sorte de l’application et que je visite votre site internet pour savoir ce que je peux vraiment attendre et où je peux aller?

Génial. J’espère au moins que votre site web est optimisé pour la navigation mobile. Parce que s’il faut en plus que je sois à la maison ou au bureau devant mon ordi, ça risque de commencer à me les casser un peu trop. Les pieds, donc.

Vous êtes en train de comprendre pourquoi le choix du mot «attractives» est un peu léger? Il faut quand même une bonne dose de motivation pour aller plus loin, là.

La photo

Bon, il est temps de passer à la star de cette affiche. L’appli Shel elle-même, sublimée par l’audacieuse photo de deux mains anonymes tenant un téléphone portable.

Au volant.

Tsssss… quel bel exemple pour la jeunesse.

Sur l’écran du téléphone, le symbole d’un pistolet de pompe dégoulinant d’essence s’accompagne fièrement de la mention «Réduction 5 ct/l sur tous les carburants».

J’ai fait le calcul. Cinq centimes par litres sur un plein de 50 litres, ça fait une économie de 2 Fr 50. Alors oui, c’est toujours ça de pris sur l’ennemi. M’enfin… tout ça pour ça?

Les pictos

Attention, c’est pas fini. Tu vois, il reste quelques zones inutilisées sur l’affiche. Alors le graphiste (ou le client? Il y aura toujours un doute…) a trouvé malin de balancer trois pictogrammes, histoire de… de quoi au fond? Probablement de mieux me faire comprendre ce que je peux trouver dans cette fameuse app?

Alors à en croire ces trois pictos, dans l’application Shell on trouve:

  • des étiquettes avec un signe pourcent. Des rabais?
  • de l’essence (quelle surprise!)
  • du café

App app hourra. Merci Shell, tout est beaucoup plus clair à présent.

Go well

En bas à droite, l’affiche se termine sur la signature corporate de nos amis de chez Shell. Un peu amputée. Tu vois, on nous a bassinés pendant des décennies à la TV avec une voix off qui nous souhaitait gravement (mais fièrement quand même) bonne route en proclamant «Go well, go Shell.»

Alors au bout d’un moment, ils ont dû se dire qu’on avait pigé. Et maintenant c’est juste «Go well» à coté du logo Shell. Et ça marche. Et je suis toujours aussi impressionné par l’efficacité du conditionnement publicitaire TV.

Ça, franchement, c’est sûrement le seul truc de l’affiche qui fonctionne.

Et donc?

Bon, je sais que j’ai pas été tendre. Et franchement, les gens de chez Shell, n’allez pas croire que je vous aime pas. Il m’arrive même d’aller faire le plein chez vous.

Et c’est très bien que vous ayez une app. Pas de problème. Y en a sûrement des bien plus inutiles que la vôtre.

Mais votre affiche est nulle. Et je pense très sérieusement que vous auriez pu faire un bien meilleur usage des centaines de milliers de francs que cette campagne a probablement coûté.

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